Don't Make Me Think!


En réaction à l’article « Le design Thinking ou la surenchère des mots » de Christophe Chaptal de Chanteloup, paru dans Design fax 909, et article est paru dans le Design Fax 911


Il est important de ne pas confondre une pratique avec la pensée de cette pratique. Le mot "design" ne permet pas cette distinction. Pour en juger, il existe une pratique barbare mais efficace: Google Images. chercher "viticulture", vous obtenez raisins, vignes, travail de la vigne... cherchez "design" et vous voilà face à du grand n'importe quoi. Même si Google vous propose d'affiner votre recherche (objet design, design graphique, meuble design...), le résultat est consternant.

En posant la terminologie "design thinking", tim Brown cherchait à redonner du sens à la pratique du designer. et en redonnant du sens, espérer partager un goût pour la création et la pertinence de cette pratique. Dans Google Images, la requête "design thinking" vous propose une suite de diagrammes expliquant un processus de création encourageant l'empathie, l'itération et le prototypage rapide. Déplacer l'intérêt pour le design - des objets à la pratique - permet de questionner la démarche de production. et c'est bien là l'enjeu de la création aujourd'hui. Il n'est plus possible en 2014 de penser le design en terme de valeur, ou de valorisation. ces qualificatifs néolibéraux continuent à pousser la pratique dans une course à l'hyperproduction que nous savons tous être une impasse.

Pensons à l'automobile. Quelle différence faisons-nous entre une 2cV et une DS3 ? 70 ans d'avancées technologiques et une refonte complète du concept de transport personnel ou familial ? Penser la démarche de l'ensemble des designers automobiles entre 1940 et 2010 pourrait être riche d'enseignements. comment expliquer que l'ensemble de ces designers, et des industriels qui les emploient, soient complètement passés à coté du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui? Comment expliquer qu'ils aient passé leur temps à redessiner des optiques quand ils n'ont pas su penser et anticiper un simple fait de société comme le covoiturage ? PSa vient d'injecter un million d'euros dans une app de covoiturage. est-ce là l'unique recours face aux enjeux de la transformation digitale ? Le design d'une nouvelle optique ne nécessite qu'un crayon quand la remise en question d'une industrie demande neurones, collaborations et détermination. Il ne s'agit pas de tuer le design ou le capitalisme, mais d'utiliser notre créativité pour tenter d'éviter que le monde industrialisé ne se prenne le mur.

En 2000 est sorti « Don't Make Me think », un livre de Steve Krug sur les interfaces homme-machine et le design des sites web. Si le propos semblait à cette époque intéressant, l'idée de priver l'utilisateur de tout besoin ou envie de questionner ses usages est aujourd'hui effrayante. Décérébrer un utilisateur est le meilleur moyen pour un créatif de finir à son tour décérébré. Pensons pour offrir à penser. L’industrie numérique - qui pousse pourtant l'ensemble des industries au besoin d'une renaissance - prend aujourd’hui le même travers que l'industrie automobile. Produits et services prolifèrent et sous-estiment, toujours plus, ceux qui ne sont vus que comme consommateurs.

Le "Design thinking" de tim Brown n'est pas une panacée, il faut jour après jour re-qualifier cette pratique et ses implications. Mais si des deux mots nous devons n'en garder qu'un, ce n'est définitivement pas "design".

— pyc pour un lieu subjectif... Octobre 2014