Si tout est data… Oubliez-moi!

Tout est data. Tout doit passer au pilon numérique. Le monde repose sur la double certitude que tout est numérisable et que les sciences statistiques nous permettent de tout prévoir. Pas de vie sociale, de communication, de relations, de déplacements ou de divertissements sans que nous ne laissions une multitudes de petites miettes qui deviennent aussitôt objets d’analyses. Il est impossible d’échapper à la vigilance des marchands ou des états qui ont tous les moyens de contrôle et influent sur l’évolution des populations de consommateurs/citoyens.

Et un nouveau pas vient d’être franchi. Certains industriels et certains gouvernements sont prêts à offrir le libre accès à l’ensemble de nos datas. Mais ne voyons pas ici un accès de philanthropie. L’idée est de nous laisser la responsabilité de mieux nous définir, mieux nous cerner, que nous participions à notre propre contrôle et qu’ainsi l’offre soit toujours plus conforme à nos demandes. Tout est data et tout devrait être «open». Le seul espoir n’est plus la disparition mais serait le développement d’une capacité à jongler avec ses propres données.

A nous de jouer?

Nous avons proposé le sujet WE ARE DATA aux élèves en 5e année de l’ESAG Penninghen en les questionnant non seulement en tant que créatifs/ graphistes mais surtout en tant que citoyen. «Partez du principe que vous avez la possibilité de récupérer l’intégralité des données vous concernant, dans les datacenters de Facebook, Amazon, Google… ou des gouvernements. Qu’en faites vous? A quelles fins?»

Quelles autres questions allaient ils se poser? Au delà des choix formels, allaient ils tenter de définir ce que peut être leur double numérique? Et quels systèmes allaient ils mettre en place pour tenter de rééquilibrer les rapports de force entre l’individu et entre les pouvoirs?

Comme les très jeunes enfants qui se cachent les yeux en pensant être invisibles aux yeux de tous, les digital natives préfèrent ne pas aborder l’idée d’une possible émancipation numérique. On ne remet pas en question un système qui marche et qui n’a pas cessé de nourrir leurs écrans télévisés, consoles de jeux et ordinateurs connectés. Mais malgré cette naïveté affichée, l’expérience a été très enrichissante.

La « data visualisation » a souvent été un choix logique pour les équipes. Le rôle du graphiste ne sera pas de questionner les masses de données mais de les rendre lisibles. La mise en place d’une signalétique pour permettre à tous d’appréhender l’étendue des critères d’analyse. Il était intéressant de voir les élèves aller vers ce type de travail formel et les voir ensuite montrer une certaine inquiétude face à ce graphisme génératif, jusqu’à ne plus vraiment savoir comment se positionner en tant que créatif.

Les résultats ont été encore plus intéressants quand certains élèves, cherchant une lisibilité, se sont retrouvés à déployer des systèmes abstraits, comme un désir caché d’anonymat ou comme le meilleur moyen de laisser transparaître des subjectivités.

Au delà de sa représentation, il y avait pour certains élèves une volonté de rendre la donnée tangible, de mieux l’inscrire dans une temporalité. L’impression, le façonnage de livres ou l’impression 3D permettaient de mieux embrasser les problématiques et de juger de l’intérêt et de la pertinence des données.

Pour finir, ce sont les idées de pérennité et d’oubli possible qui ont le mieux éclairé notre problématique initiale. Un critère de longévité serait appliqué a priori ou a posteriori par l’individu à chacune des données qu’il produit pour échapper à la sédimentation systématique et minutieuse dans la machine. Difficile de démonter le système en place mais développons les moyens de juger lesquelles de nos data pourraient être mémorables et redonner ainsi un caractère futile mais nécessaire à une grande partie de notre existence numérique.

pyc pour un lieu subjectif...